« Le récit national permet de surmonter les
ruptures » Interview de Vincent Duclert, historien et universitaire, paru
dans le Nouvel observateur (23 décembre 2015).
Extraits
« L’Histoire est essentielle au fonctionnement
de la France et au sentiment d’appartenance. Mais il faut savoir vers quoi l’on
se dirige dans l’avenir. Le roman national repose sur des victoires comme sur
des défaites : Jeanne d’Arc est capturée, elle échoue, or c’est une
héroïne et une sainte. L’Histoire absorbe tout et transcende les péripéties du
passé lointain. Désormais, la difficulté est de passer d’un récit guerrier à
une épopée civile : comment permettre aux Français de se sentir portés par
un autre projet que les confrontations dramatiques ou l’héroïsme guerrier ?
L’identité démocratique, les libertés, le contrat social, l’école, l’art et la
culture sont autant de marqueurs d’identité et de facteurs d’unités ; mais
cela paraît tout de suite moins héroïque. Ce bagage démocratique est moins
propice au consensus et à l’unité. Il suppose de la pédagogie, du temps. Pour
accepter la différence, pour intégrer l’autre dans la culture civique commune,
l’effort est nécessairement plus progressif, plus compliqué aussi. Je reste
néanmoins persuadé que ce sont ces acquis républicains et sociaux qui
permettront à la France de se réinventer et d’écrire une nouvelle page de son
histoire.
Pourtant, cela ne fonctionne pas bien. On a
l’impression d’une panne actuelle de l’Histoire…
La connaissance de l’Histoire apporte des réponses.
Prenez l’affaire Dreyfus qui s’est accompagnée de vraies pulsions xénophobes,
d’un antisémitisme prononcé. Mais dès lors que les libertés, notamment
judiciaires, sont menacées, les républicains s’engagent pour les droits de
l’homme et du citoyen, retrouvant un patrimoine français qui commence avec
l’édit de Nantes.
La solution a été politique, à travers le
renforcement de la démocratie et l’action de la presse, véritable vecteur de
civilisation à l’époque. Non seulement cela a fonctionné, mais les grandes
libertés ont fait l’objet de nouvelles lois, sur lesquelles notre République
repose encore (liberté de la presse, d’association, de conscience…). L’héroïsme
par la politique, ça marche ! L’unité se fait sur des valeurs. J’adhère
tout à fait à la phrase de Dominique Schnapper : « La France est une
nation politique ». Dorénavant, c’est le patrimoine démocratique et
civique qui constitue la fierté du peuple français.
L’Histoire, c’est aussi le récit que l’on se donne,
pas seulement celui que l’on a reçu…
Tout à
fait. C’est pourquoi il faut s’attacher à la politique « en bas », à
la manière de dire aux Français qu’ils sont porteurs d’un héritage de valeurs
qui leur permet de rester connectés au monde, aux autres sociétés, à
l’universel. Dans cette perspective, l’Histoire est d’un précieux secours si
l’on veut bien retrouver les évènements du passé qui font sens. Il faut relire
l’Histoire d’une autre manière, s’attacher à traduire cette volonté
d’appartenance de ceux qui n’avaient rien, sinon l’espoir d’une dignité retrouvée
dans la liberté, dans la justice, dans le travail. »
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