mardi 29 décembre 2015

"Dorénavant, c’est le patrimoine démocratique et civique qui constitue la fierté du peuple français"



« Le récit national permet de surmonter les ruptures » Interview de Vincent Duclert, historien et universitaire, paru dans le Nouvel observateur (23 décembre 2015).

Extraits

« L’Histoire est essentielle au fonctionnement de la France et au sentiment d’appartenance. Mais il faut savoir vers quoi l’on se dirige dans l’avenir. Le roman national repose sur des victoires comme sur des défaites : Jeanne d’Arc est capturée, elle échoue, or c’est une héroïne et une sainte. L’Histoire absorbe tout et transcende les péripéties du passé lointain. Désormais, la difficulté est de passer d’un récit guerrier à une épopée civile : comment permettre aux Français de se sentir portés par un autre projet que les confrontations dramatiques ou l’héroïsme guerrier ? L’identité démocratique, les libertés, le contrat social, l’école, l’art et la culture sont autant de marqueurs d’identité et de facteurs d’unités ; mais cela paraît tout de suite moins héroïque. Ce bagage démocratique est moins propice au consensus et à l’unité. Il suppose de la pédagogie, du temps. Pour accepter la différence, pour intégrer l’autre dans la culture civique commune, l’effort est nécessairement plus progressif, plus compliqué aussi. Je reste néanmoins persuadé que ce sont ces acquis républicains et sociaux qui permettront à la France de se réinventer et d’écrire une nouvelle page de son histoire.

Pourtant, cela ne fonctionne pas bien. On a l’impression d’une panne actuelle de l’Histoire…
La connaissance de l’Histoire apporte des réponses. Prenez l’affaire Dreyfus qui s’est accompagnée de vraies pulsions xénophobes, d’un antisémitisme prononcé. Mais dès lors que les libertés, notamment judiciaires, sont menacées, les républicains s’engagent pour les droits de l’homme et du citoyen, retrouvant un patrimoine français qui commence avec l’édit de Nantes. 
La solution a été politique, à travers le renforcement de la démocratie et l’action de la presse, véritable vecteur de civilisation à l’époque. Non seulement cela a fonctionné, mais les grandes libertés ont fait l’objet de nouvelles lois, sur lesquelles notre République repose encore (liberté de la presse, d’association, de conscience…). L’héroïsme par la politique, ça marche ! L’unité se fait sur des valeurs. J’adhère tout à fait à la phrase de Dominique Schnapper : « La France est une nation politique ». Dorénavant, c’est le patrimoine démocratique et civique qui constitue la fierté du peuple français. 

L’Histoire, c’est aussi le récit que l’on se donne, pas seulement celui que l’on a reçu…
Tout à fait. C’est pourquoi il faut s’attacher à la politique « en bas », à la manière de dire aux Français qu’ils sont porteurs d’un héritage de valeurs qui leur permet de rester connectés au monde, aux autres sociétés, à l’universel. Dans cette perspective, l’Histoire est d’un précieux secours si l’on veut bien retrouver les évènements du passé qui font sens. Il faut relire l’Histoire d’une autre manière, s’attacher à traduire cette volonté d’appartenance de ceux qui n’avaient rien, sinon l’espoir d’une dignité retrouvée dans la liberté, dans la justice, dans le travail. »

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